Je ne suis pas férue d'essais scientifiques. Entre la lecture d'un essai sur l'environnement et un bon roman, je choisis souvent la deuxième option. Pourtant, je sais qu’il y a urgence, comme bon nombre d’entre nous, je vois que nous allons droit dans le mur si nous ne changeons pas radicalement nos modes de production et de consommation. Mais...je n’ai pas lu la synthèse des rapports du GIEC, je me force à lire les articles de la rubrique « climat » des grands médias, je suis incapable de citer de mémoire les derniers chiffres liés au réchauffement climatique. Mea culpa. Je sais qu’il faudrait, qu'il faut s'informer, se former, que le savoir c’est le pouvoir , etc. Alors, avant d’entamer le dernier essai de Nathanaël Wallenhorst « Qui sauvera la planète ? » (Ed. Actes Sud), je retrouvai cette désagréable sensation lorsque, lycéenne, j'entrais en cours SVT alors que j’aurais nettement préféré être en « français ». J’avais tort, je suis ressortie de la lecture de cet essai complètement exaltée.
Nathanael Wallenhorst, chercheur et spécialiste de l’Anthropocène, aborde la question écologique sous un angle systémique et global. L’urgence écologique est d’abord et avant tout un problème politique. Excellent pédagogue, il distille son livre de repères scientifiques – il a lu plus de mille articles de recherche et en propose une synthèse particulièrement accessible – il aborde le sujet de la transition écologique sous un angle inédit : la puissance des récits.
Les rapports du GIEC existent, les chiffres sont clairs, le savoir est là, pourtant on n’agit pas. « Pourquoi la vie sociale et politique n'est-elle pas organisée à partir de ce que nous savons qui n'a souvent rien à voir avec ce que nous voulons croire ? » : c’est à cette question essentielle que le livre tente de répondre. Nathanaël Wallenhort croise les disciplines, il s’agit bien ici de sciences de l'environnement mais aussi de sociologie, de philosophie et de politique. Chez lui, la forme suit le fond : tout est interdépendant.
Rappel des faits scientifiques
N.Wallenhorst est catégorique sur un point : nous manquons cruellement de formation scientifique sur les enjeux écologiques. « Les savoirs scientifiques sont trop absents des lieux où ils devraient être une boussole pour l’action collective : le débat public, les collectivités, les entreprises, les programmes scolaires ». Même si les choses bougent - les médias repensent leur traitement de l’information climatique, des acteurs de la société civile font pression pour former les élus, les salarié.e.s des entreprises ont de plus en plus accès à des formations liées aux enjeux de la « RSE », nous manquons collectivement de repères structurants pour appréhender les enjeux de l’Anthropocène. Mais l’Anthropocène, kezako justement ? Jusqu’à présent, je n’en saisissais pas vraiment les contours. Comme vous peut-être, j’avais déjà croisé ce terme mais je le pensais réservé aux spécialistes de la question climatique. N.Wallenhorst en propose une définition limpide : « l’Antropocène est l’ampleur des changements que les humains ont induit dans leur environnement, jusqu’à modifier le fonctionnement même de la planète ». Le système Terre est composé de 3 sous-systèmes : le système climatique, la biosphère et les sociétés humaines. Ce qu’il faut retenir, c’est que tout est interdépendant. En gros, si l’on met en péril le système climatique – ce qui est largement le cas – ce sont les conditions mêmes d’existence sur cette Terre qui sont menacées.
N.Wallenhort fait la lumière sur la notion de « limite planétaire » : les scientifiques ont établi 9 limites planétaires[i] – si on les franchit, on bascule dans des effets de seuils – le système s’emballe et il est difficile, voire impossible, de revenir en arrière. Dit comme cela, c’est sûr que ça fout les jetons. Mais N.Wallenhorst n’est pas adepte de la « positive attitude » qui consisterait à relativiser l’ampleur du problème ou à se « concentrer uniquement sur les solutions ». Avant de penser une stratégie de réponse, il faut se mettre d’accord sur les faits et diffuser largement le fruit du savoir scientifique international. La menace est là : 6 des 9 limites planétaires ont été franchies depuis 2009. Les activités humaines ont indiscutablement un impact sur le dérèglement climatique actuel. Celui-ci est plus rapide que ce que nous imaginions. Des processus d’emballement sont en cours. Il nous reste 8 petites années pour décarboner l’industrie, l’énergie, les transports, transformer l’agriculture, bref, changer radicalement nos modes de vie.
Mais une fois les faits partagés et la prise de conscience généralisée, d’où viendra le sursaut ? Qui sauvera la planète ? Les adeptes du « modèle californien » qui croient qu’à coups de solutions technologiques et numériques, nous enrayerons la catastrophe écologique en cours ? Les Chinois qui croient en la force d’un modèle « productiviste vert » mais surtout autoritaire ? Les citoyen.ne.s qui se vantent d’être passés au zéro déchet et de ne se déplacent qu’à vélo ? Quel récit mobilise qui ?
La force des récits
N.Wallenhorst déplore le manque de formation scientifique des dirigeants et des citoyens, mais, lucide, il sait aussi que le changement n’advient pas seulement du savoir. Ce n’est pas parce que nous savons ce qu'il faudrait faire que nous le faisons pour autant. « Nos existences continuent d'être portées par des récits et c'est avec eux, à travers eux que se joue l'avenir politique de notre monde. Ces nouveaux récits constituent des leviers puissants : les histoires que l'on se raconte valent plus que les faits eux-mêmes ». Dans son essai, l’auteur décortique 6 récits, il tente d’en comprendre les ressorts et d’en pointer les limites. Six façons de voir le problème écologique et d'y réagir, six récits qui sont autant de façons de voir le monde :
- Le récit mensonger : « pas sûr que le réchauffement climatique soit d’origine humaine », ses adeptes – souvent des hommes d’âge mûr, influents, qui ont foi dans « le progrès, la société de marché et la rationnalité » nient les faits scientifiques ou les relativisent dangereusement. Ils peuplent encore les plateaux TV car ils se posent en « contradicteurs légitimes » (alors que ceux qu'ils assènent est le plus souvent faux) et qui alimentent le culte de la petite phrase, du buzz, du clash. Ce sont eux qui ont tenu des propos incroyablement sexistes envers Greta Thunberg et qui se plaisent à caricaturer les militants écolos.
- Le récit chinois : « la fin justifie les moyens », c’est la Chine qui promeut un modèle productiviste vert et qui au nom de l’écologie, assoit un modèle autoritaire et s’assoit au passage sur les droits de l’homme et les libertés.
- Le récit californien : « nous allons bientôt savoir capter le CO2 de l’atmosphère », ce récit exalte un individu puissant et entrepreneur de lui-même. Pas la peine de changer nos modes de vie puisque les solutions technologiques vont nous sauver du marasme. Ses disciples veulent repousser les limites de la mort (transhumanisme) et acquérir une puissance sans limite (aller sur Mars). Il s’agit de faire disparaitre la vulnérabilité propre au vivant.
- Le récit bisounours-mais-pas-que : ce sont les « colibris qui font leur part » et qui se posent en modèle de vertu. Ces individus s’hyper-responsabilisent face à l’inaction politique. Le marqueur de ce récit est le témoignage personnel : ce sont les adeptes du « zéro-déchet» qui partagent leurs bons plans sur Instagram ou encore ces diplômé.e.s qui ne prennent plus l’avion et s’en vantent sur Linkedin. Ils ont sincèrement conscience des enjeux mais font l'impasse sur la réflexion systémique et politique.
- Le récit pervers : « nous allons tout changer tout en continuant l’utilisation du glyphosate », c’est le président Macron et son gouvernement qui agit à coups d’effets d’annonce (discours clairvoyants et communication maîtrisée) mais qui ignore superbement les conclusions de la Convention Citoyenne pour le Climat.
- Le récit alternatif : « nous devons transformer nos démocraties en amendant les constitutions ». Ce sont ceux qui politisent les enjeux et qui osent nommer l’ennemi : le néo-libéralisme. On y croise les chercheurs adeptes du « convivialisme » (Ivan Illich, Jacques Ellul, Dominique bourg…) et…le Pape François (!).
Puisque le propos de Nathanaël Wallenhorst est d’insister sur la puissance des récits, il fait l’effort, lui aussi, de raconter des histoires. Il introduit chaque chapitre - chaque récit - en proposant un portrait-type d’un.e de ses adeptes, en accentuant volontairement le trait. Petit exemple savoureux : Stéphane, adepte du récit mensonger : « Stéphane, 52 ans, a en horreur le pessimisme, voire le catastrophisme de ces nouveaux ayatollahs verts. Bien sûr que la Terre se réchauffe ! Mais pas de quoi en faire tout un foin. Sa fille Marie ne jure plus que par l’écologie et cela l’énerve. Mais Marie oublie la technologie, elle oublie que son père a acheté une Tesla 100% électrique ! ». On connaît tous.te.s un Stéphane ! C’est là le tour de force de l’auteur : son essai n’est jamais 100% didactique, théorique. Il mêle analyses scientifiques pointues, raisonnements politiques et observations fines du quotidien et des tensions sociales qui peuvent être à l'oeuvre dans toutes les communautés (entreprises, familles, groupes d'ami.e.s...).
Un manifeste pour l’action collective
Face à l’ampleur de l’urgence écologique, Nathanaël Wallenhorst nous invite à faire preuve de radicalité. « L’Anthropocène, cette nouvelle époque géologique appelle de la radicalité (du latin radix, « racine », signifiant la nécessité de prendre les choses à la racine), à distinguer de tout type d’extrémisme – une radicalité démocratique et non violente qui seule nous permettra de traverser les sombres temps qui se profilent ».
Si après la lecture de certains chapitres, notre moral est forcément en berne, l’essai ne fait pas l’impasse sur les changements positifs en cours. Certes la situation est grave (cf les chiffres du GIEC) et les dirigeants politiques et économiques ne sont pas à la hauteur, mais il y a tout de même de quoi avoir de l’espoir !
N.Wallenhorst rappelle d’ailleurs que les français.e.s sont de plus en plus conscient.e.s des enjeux écologiques et prêt.e.s à changer. Dans une étude datant de 2019, l’économiste Philippe Moati avait identifié 3 systèmes « utopiques » : l’utopie écologique (le « moins mais mieux »), l’utopie sécuritaire, et l’utopie techno-libérale (celle promue par le « récit californien »). 55% des personnes interrogées se déclaraient mobilisées par l’avènement du récit utopique ! Contre 29% pour l’utopie sécuritaire et 16%seulement pour l’utopie techno-libérale.
Dans le dernier chapitre qui met en lumière les propositions du « récit alternatif », N.Wallenhorst rend hommage aux acteurs de terrain, aux associations comme les Jardins de Cocagne (maraîchage bio réalisé par des personnes en insertion), les Amap, le Campus de la transition qui forme les étudiants et les dirigeants, le mouvement des « villes en transition » porté par Rob Hopkins, etc.
Pour l’auteur, c’est très clair, la solution viendra de l’action collective. L’analyse du récit « bisounours-mais-pas-que » pointe d'ailleurs les limites de l’action individuelle et des éco-gestes : « Ce récit exalte l’individu et son expérience personnelle au nom d’une valeur cardinale : l’exemplarité (…) Pourtant, l’exemplarité nourrit un jeu dangereux. L’individu doit devenir un modèle de vertu. Et tout écart engendre de la culpabilité. Mais plus problématique, cet impératif ne nous rend-il pas intolérant voire intransigeant envers ceux qui accordent moins d’importance aux changements individuels ? ». Ou qui n'en ont pas les moyens. Car, pour se sentir concerné (et donc agir), il faut avoir du temps libre pour s'informer et bénéficier « d'une disponibilité familiale, professionnelle, voire psychique » précise l'auteur. Mais il faut aussi des moyens financiers pour opter pour des produits et services alternatifs à ceux poussés par la société capitaliste.
Il cite les résultats de l’étude « Faire sa part ? Pouvoir et responsabilité des individus, des entreprises et de l’Etat face à l’urgence climatique[ii] » qui révèle que si tous les français.es changeaient leur mode de vie, adoptaient un régime végétarien, utilisaient leur vélo en ville, arrêtaient de prendre l’avion, etc ; l’impact sur l’empreinte carbone de la France ne serait que de 25% ! Cela ne signifie pas qu’il ne faut rien faire (loin de là !) mais que la responsabilisation individuelle doit aller de pair avec des revendications collectives. 80% de la part de baisse nécessaire des émissions de gaz à effet de serre relèvent de l’Etat et des entreprises. L'auteur ne critique pas le raisonnement des citoyen.ne.s engagé.e.s mais plutôt celles et ceux qui laissent croire qu'il faudrait d'abord miser sur ces éco-gestes individuels pour voir advenir le changement (ex : la politique du "col-roulé" ).
Pour être à la hauteur des enjeux, il nous faut donc transformer radicalement nos modes de production, le fonctionnement de nos collectivités et nos modes de consommation. Il nous faut repenser le partage de la valeur – notamment dans les entreprises - repenser notre rapport au travail (moins central, moins aliénant) et repenser notre rapport au vivant (fin de la dualité nature / culture). Bref, fonder un nouveau nous. Avec son approche philosophique et politique du vivant, je crois que Nathanael Wallenhorst m’a réconciliée avec les SVT.
[i] Les 9 limites planétaires : le changement climatique ; l’érosion de la biodiversité terrestre et marine ; l’altération des cycles biogéochimiques ; l’affaiblissement de la couche d'ozone ; l’acidification des océans, la perturbation des cycles de l'eau ; le changement d'affectation des sols ; l’introduction d'entités nouvelles (tout ce qui pollue l'environnement : métaux lourds, pesticides, déchets toxiques…)
[ii] Etude menée par l’ingénieur César Dugast et la consultante Alexia Soyeux pour l’agence Carbone 4 en 2019
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